La sensorialité des plantes
Die Sensorik der Pflanzen
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Les plantes analysent en permanence leur environnement au moyen de plus de 700 capteurs répertoriés dans le monde végétal afin de mesurer température, humidité, lumière, etc. Cette large palette de perceptions sensorielles fait l’objet de nombreux travaux de la part des physiologistes du végétal.

Stefano MANCUSO, éminent spécialiste en signalisation et comportement des plantes, définit les plantes comme
« des êtres fixés, incapables de fuir qui ne construisent pas d’organes. Elles ont une structure modulaire, un peu comme les coraux. Ainsi, si un herbivore arrive et mange 80 % de la plante, les 20 % qui restent survivent. C’est une différence majeure avec les animaux. Elles respirent sans poumons, détoxifient sans foie, digèrent sans intestin... et ont une intelligence sans cerveau ».

Daniel CHAMOVITZ, biologiste de l’université de Tel-Aviv et auteur de l’ouvrage récemment publié
« La plante et ses sens » (Buchet-Chastel, 2014), complète la description en nous informant
qu’ « elles n’ont pas d’yeux et pourtant elles voient, elles n’ont pas de nez et pourtant elles sentent, elles n’ont pas d’oreilles et pourtant elles réagissent au son ».

Le sens de l'ouïe

Desmodium gyrans (L.) DC., aujourd’hui renommée Codariocalyx motorius (Houtt.) H. Ohashi, est l'une des rares plantes capable de mouvements rapides. Chaque feuille est équipée d'une charnière à la base qui permet un déplacement du limbe afin d’optimiser l’exposition à la lumière du soleil. Cette mobilité pourrait aussi être une stratégie défensive vis-à-vis de divers insectes, la rotation rapide du feuillage pouvant mimer le vol des papillons [Lev-Yadun 2013]. Mais plus surprenant, cette légumineuse d’Asie tropicale surnommée la « plante qui danse » a des capacités auditives. Si l'on fait du bruit ou si l'on joue de la musique, les feuilles vont se mettre à bouger en rythme, voyez plutôt...

Dans le laboratoire de S. Mancuso, son équipe a constaté que les racines de diverses plantes se dirigent vers le bruit engendré par de l’eau qui coule dans un tuyau enterré. Ceci porte à penser que ces plantes perçoivent le bruit de l’eau qui coule. Monica Gagliano de l’Université de Crawley (Australie) a constaté que les racines de maïs ont tendance à croître vers une source de son dont la fréquence se trouve autour de 200 Hz [Gagliano 2012]. La capacité d’utiliser les sons n’est pas une prérogative des animaux car les plantes non seulement peuvent en percevoir mais aussi en émettre. L’exploration de la communication acoustique des plantes est pleine de promesses [Gagliano 2013].

Le sens de l'odorat

La cuscute (Cuscuta pentagona Engelm.), plante grimpante parasite dépourvue de chlorophylle, sent la présence de plants de tomates et va se fixer dessus.

Le phénomène est identique lorsqu’un support imbibé du parfum de tomate est présenté à la plante. Les plantules de cuscute peuvent distinguer les composés volatiles du blé de ceux de la tomate et pousser préférentiellement vers cette dernière. La nature des capteurs qui permettent le sens de l’odorat est inconnue mais parmi les médiateurs volatils de la tomate, β-phellandrène, β-myrcène et α-pinène peuvent être cités [Runyon 2006 ; Mescher 2006].

Ian BALDWIN du Max Planck Institute for Chemical Ecology en Allemagne commente « Pour l’instant, nous ne savons pas ce qui sert de nez aux plantes, mais nous allons découvrir cela dans la prochaine décennie ».

Le sens du toucher (mécanismes de mécano-perception)

Nous pouvons rajouter un autre sens, celui du toucher, à l’image de la sensitive (Mimosa pudica L.) qui referme ses feuilles dès qu’on les touche ou des plantes carnivores capables de capturer des proies (insectes, acariens et autres petits invertébrés essentiellement) à l’aide de pièges actifs, tels ceux de la dionée attrape-mouche (gobe-mouche de Vénus, Dionaea muscipula Solander ex Ellis) ou autres droséras.

La fermeture des lobes des feuilles de dionée est déclenchée par des poils sensitifs (6 en général) situés sur les faces internes. Dès qu'un insecte touche un des poils le mécanisme est déclenché mais le piège ne se referme pas encore complètement. Cela va nécessiter un second contact dans un laps de temps relativement court, la plante se prémunissant ainsi contre des efforts inutiles (dûs par exemple à la chute d'une feuille morte).

Le sens du toucher est merveilleusement à l’œuvre durant la croissance de certaines plantes grimpantes qui possèdent des vrilles cherchant un support pour s’enrouler. La sensibilité peut devenir extrême à l’image de la vrille du concombre anguleux (Sicyos angulatus L.) qui s’enroule autour d’un fil de 0,25 gramme alors qu’un doigt humain ne détecte le même fil que lorsqu’il pèse 2 grammes [Monshausen 2009 ; Monshausen 2013].

Les apex racinaires sont doués d’une extrême sensibilité aux stimuli environnementaux. En effet, « la pointe de racine agit comme l’organe sensoriel le plus important de la plante ; elle détecte des paramètres physiques divers tels que la gravité, la lumière, l’humidité, l’oxygène et les nutriments inorganiques essentiels » [Baluska 2013].

Claude BERNARD et les travaux d’anesthésie des plantes

Considéré comme le fondateur de la médecine expérimentale, Claude BERNARD (1813-1878) considérait que les plantes étaient aussi capables de percevoir les changements de l’environnement. Il appelait cela « sensibilité ».

Dans le but de vérifier cette intuition, il réalisa des anesthésies sur les plantes et montra des effets d’anesthésiants volatils sur différents processus tels que la germination, la photosynthèse et le mouvement des plantes (C. Bernard, "Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux", 1878). L’anesthésie peut être définie comme une perte de réactivité aux stimuli de l’environnement.

Les neurones sont les cellules du vivant les plus sensibles aux anesthésiants, ce qui est dû à leur spécialisation dans l’intégration d’informations sensorielles et à une haute perception de l’environnement. De façon similaire, les cellules végétales sont toutes excitables et certaines d’entre elles sont même spécialisées dans la perception, la transmission et l’intégration d’informations sensorielles [Grémiaux 2014]. Et Claude Bernard de conclure : « ce qui est vivant doit sentir et peut être anesthésié, le reste est mort ».

Didier GUÉDON, Expert au Comité français de la Pharmacopée


Bibliographie :

Baluska F, Mancuso S. Root apex zone as oscillatory zone. Front Plant Sci 2013;4:e354.
Gagliano M, Mancuso S, Robert D. Towards understanding plant bioacoustics. Trends Plant Sci 2012;17:323-5.
Gagliano M. Green symphonies: a call for studies on acoustic communication in plants. Behav Ecol 2013;24:789-96.
Grémiaux A, Yokawa K, Mancuso S, Baluška F. Plant anesthesia supports similarities between animals and plants: Claude Bernard's forgotten studies. Plant Signal Behav 2014;9:e27886.
Lev-Yadun S. The enigmatic fast leaflet rotation in Desmodium motorium. Butterfly mimicry for defense? Plant Signal Behav 2013;8:e24473.
Mescher MC, Runyon JB, De Moraes CM. Plant host finding by parasitic plants: a new perspective on plant to plant communication. Plant Signal Behav 2006;1:284-6.
Monshausen GB, Gilroy S. Feeling green: mechanosensoring in plants. Trends Cell Biol 2009;19:228-35.
Monshausen GB, Haswell ES. A force of nature: molecular mechanisms of mechanoperception in plants. J Exp Bot 2013;64:4663-80.
Runyon JB, Mescher MC, De Moraes CM. Volatile chemical cues guide host location and host selection by parasitic plants. Science 2006;313:1964-7.